Management development et mobilité
05-07-2017, 08:41 PM
Daniel Held :

Management development et mobilité


Paru dans : Persorama, no 4, 1996 sous le titre « Devoir apprendre en permanence ».

Résumé

Le Management development connaît aujourd’hui des remises en question importantes dans la plupart des entreprises. Les structures d’entreprises et objectifs qui ont prévalu à son essor dans les années 70 et 80 se sont profondément modifiés, et conduisent actuellement à une refonte complète des concepts et processus proposés.

Ils seront caractérisés notamment par une intégration plus forte des principales politiques du personnel (formation, rémunération, recrutement, mobilité notamment), par une implication systématique du management, une réorientation des politiques de formation, une plus grande individualisation dans la gestion des carrières et de la mobilité et par des outils et concepts plus simples, performants et opérationnels. La politique de mobilité servira par ailleurs de plus en plus au développement des compétences, selon un parcours individualisé, et au changement organisationnel.

L’objectif de cet article consiste à montrer en quoi consiste ce changement et à donner quelques pistes concrètes pour orienter le Management development du futur et la politique de mobilité.

1. Le management development en mutation

1.1. Qu’est-ce que la management development aujourd’hui?

Le Management Development (MD) est un service centralisé mis en place dans la plupart des grandes entreprises dans le but de contribuer à sélectionner, gérer et développer la population des cadres supérieurs et de la relève, de manière à permettre à l’entreprise de disposer en tout temps des compétences requises pour son développement.

Le MD a été principalement actif dans les domaines suivants:

- le support à l’évaluation des potentiels, notamment par l’organisation d’ «assessment centers »
- la mise sur pied de « curricula » de formation pour cadres de différents niveaux
- la tenue d’un registre central, permettant de proposer à la Direction des noms de candidats pour des postes vacants, et de tenir à jour des plans de succession
- un support accordé à la gestion de la mobilité interne, au niveau des conditions de cette mobilité notamment (gestion des questions matérielles).

Les systèmes de MD existants sont très divers. Ils sont cependant pour la plupart caractérisés par:

- des concepts liés à des niveaux hiérarchiques: accès aux différents niveaux de management, avec critères de sélection et activités de formation associées
- une politique de mobilité liée à des postes et structures relativement stables
- des outils d’évaluation impliquant souvent une partie du management dans l’évaluation, avec une dimension sélection qui prime sur la dimension développement
- des concepts de formation sous forme de « curricula » complets
- une gestion de la mobilité, où les cadres changent de fonction et de pays tous les 3 à 7 ans, et se déplacent au sein du groupe durant leur carrière, avec quelques passages par le siège.

Les investissements importants consacrés au MD ont significativement contribué à la préparation de la relève, à la gestion de plans de succession, à la motivation et à la loyauté des cadres.

1.2. Les changements en cours et les limites des modèles actuels

Des changements importants sont survenus dans nos entreprises. L’environnement de plus en plus compétitif et l’évolution technologique réclament de la part des entreprises une rapidité de réaction beaucoup plus grande, qui se traduit par:

- des structures d’entreprise de plus en plus légères, contribuant notamment à une réduction significative du nombre de niveaux hiérarchiques
- des structures organisationnelles en profonde mutation, impliquant des modifications très fréquentes des fonctions et responsabilités, ainsi que des filières de carrière traditionnelles
- des changements culturels indispensables (pour réussir le changement organisationnel, dans le cadre de réorganisations, de fusions, d’acquisitions)
- des exigences nouvelles et plus pointues pour les cadres dirigeants, afin de faire face aux défis de leurs fonctions (en termes de leadership, de capacité d’adaptation et d’anticipation, d’intuition, de vision stratégique notamment); un besoin croissant d’avoir une approche globale des problèmes, une « helicopter view » se fait sentir
- un manque de temps général pour aborder les questions de développement professionnel et personnel, ce qui se traduit souvent par une politique du court terme qui peut se révéler désastreuse pour l’avenir de nos entreprises.

Ces changements mettent sous pression les systèmes actuels de MD, qui ont été construits pour des environnements plus stables et mieux maîtrisables. Les principales critiques qui sont régulièrement faites aux systèmes actuels concernent notamment:

- la lourdeur et la complexité des concepts et démarches mis en oeuvre en matière d’évaluation; cette lourdeur empêche souvent leur répétitivité et conduit donc non seulement à des coûts élevés, mais aussi à un côté très statique de ces évaluations
- les solutions de formation proposées, coûteuses, lourdes, peu différenciées et souvent trop centrées sur la formation en cours ou séminaires par rapport à des solutions plus expérimentales
- l’implication très partielle des cadres dirigeants dans la mise en oeuvre des politiques de développement
- la tendance à une certaine uniformisation des profils, donc à un appauvrissement de la culture de l’entreprise; par conséquent, une gestion plutôt standardisée que différenciée des individus et des postes. Les outils utilisés ne permettent par ailleurs que très rarement un « benchmarking » par rapport au marché, à la concurrence
- les fonctions exigent souvent une spécialisation et des profils de plus en plus pointus; la préparation de généralistes connaissant bien le terrain sera plus difficile, alors que tout montre que les managers du futur devront être des généralistes à la fois stratèges et opérationnels
- le MD n’a en général pas accordé une place très importante à la responsabilité et à l’autonomie individuelle, face à la carrière et au développement, stimulant plutôt les approches exogènes, de type « consommateur »
- le MD est généralement déconnecté des problématiques de changement organisationnel et des autres aspects de la politique du personnel (politiques de rémunération notamment), ce qui peut constituer un handicap dans un marché de plus en plus compétitif et où la loyauté est en baisse
- les informations gérées, autant au niveau des postes que des individus, sont souvent de nature statique, limitative et difficilement utilisables dans le cadre d’une gestion dynamique de la mobilité et du développement des compétences.

Des changements importants sont de ce fait en cours dans le domaine.

2. La mobilité

2.1. La mobilité aujourd’hui

La mobilité joue depuis toujours un rôle essentiel dans la politique du MD. Elle permet notamment aux cadres d’acquérir des compétences très larges, grâce à la mobilité entre fonctions, et une ouverture culturelle par le biais de stages dans différents pays et cultures. La mobilité est importante pour assurer la loyauté des cadres et permettre aux managers d’acquérir une expérience de généralistes, indispensable pour une fonction de direction générale.

Cependant, cette politique de mobilité se heurte à divers problèmes significatifs dans l’environnement que nous connaissons aujourd’hui:

- le nombre de possibilités pour exercer la mobilité, vu la réduction des échelons hiérarchiques, est de plus en plus restreint; de plus, la planification de la mobilité relève souvent du « casse-tête », les structures organisationnelles évoluant très vite
- l’activité professionnelle de plus en plus fréquente des conjoints, situation renforcée par le confort et la rémunération obtenus en Suisse, rend la mobilité souvent difficile
- les cadres ne sont pas toujours préparés à la mobilité, aux difficultés qu’ils vont rencontrer et aux dimensions qu’ils doivent développer; leur implication locale est souvent limitée, ce qui conduit à une sous-utilisation fréquente du potentiel des marchés et des cadres locaux
- la vitesse de déroulement de la carrière est souvent plus rapide au siège, dans des fonctions spécialisées, en raison des compétences de plus en plus pointues qu’elles réclament; la motivation pour la mobilité se réduit de plus en plus, d’autant plus que plusieurs cadres expatriés ont démontré ces dernières années de limites importantes dans leurs compétences, ce qui a même conduit à certaines séparations, encore impensables il y a quelques années.

2.2. La mobilité demain

La mobilité devient donc plus difficile, autant pour les entreprises que pour les individus. Mais elle devient aussi plus indispensable que jamais, vu la vitesse d’évolution des organisations, des marchés, des opportunités.

La politique de mobilité doit avant tout être perçue comme un moyen de développement des compétences, tout en apportant une valeur ajoutée à l’entreprise. La mobilité ne prendra plus autant que par le passé la forme verticale, vu la réduction du nombre d’échelons hiérarchiques.

Il s’agit donc de valoriser, dans un marché de plus en plus compétitif pour les compétences de pointe, la mobilité horizontale. Cette mobilité est destinée à développer de véritables compétences de généraliste (larges et approfondies), qui sont indispensables dans des fonctions de plus en plus nombreuses, à commencer par les fonctions de « relation clientèle » (le client souhaite une interface unique).

Pour réussir dans cette voie, deux conditions doivent être satisfaites:

- le cadre doit avoir un objectif individuel de développement, qui le motive et qui fera l’objet d’un « contrat » de développement et de mobilité
- le développement des compétences et les performances réalisées doivent être valorisées par le système de rémunération et de MD.

Dans ce but, il convient donc de:

- connaître parfaitement le potentiel des collaborateurs, leurs objectifs professionnels et les diverses étapes réalistes pour leur développement
- connaître précisément les exigences des postes-clé
- mettre en relation les individus et les postes de manière dynamique
- mettre en œuvre un plan de développement et de coaching individualisé.

Les nouvelles politiques de mobilité conduisent donc de plus en plus à une approche de type « contractuel ». Celle-ci s’inscrit dans le cadre de la tendance généralisée à la négociation: des objectifs, des responsabilités, des actions de développement, des moyens à mettre en œuvre.

La politique de mobilité peut aussi servir à faciliter le changement organisationnel, si des cadres bien préparés sont placés dans des fonctions clé, en tenant compte de l’acceptation dont ils vont bénéficier dans l’unité considérée.

3. Les principaux enjeux du Management development

3.1. Les nouveaux objectifs du MD

Dans un tel contexte, et pour faire face à des exigences nouvelles posées aux cadres, le rôle du MD devient donc plus essentiel que jamais. Il ne peut réussir que s’il est réellement porté par la Direction générale, qui attend de sa part un support opérationnel, lui fournissant les informations nécessaires - dont la qualité première sera d’être, tant au niveau des postes que des individus, à jour et à la fois synthétiques (faciliter les recherches, la compréhension) et différenciées (afin de pouvoir prendre les décisions et mesures nécessaires, notamment en évaluant correctement les risques et prenant les mesures de développement indispensables).

Les démarches seront évolutives, itératives, pouvant être répétées. Elles permettront de faire le point régulièrement sur les compétences de management des cadres et sur l’intégration réelle de l’évolution et du changement organisationnel et culturel. Il en va de l’intérêt partagé des cadres et de l’entreprise. Les cadres notamment, placés dans un contexte dans lequel ils doivent prendre plus de responsabilités et d’autonomie dans la gestion de leur propre carrière, ont besoin d’occasions de faire le point avec des tiers sur leur potentiel, leurs compétences et l’évolution de leur vie professionnelle.

Le MD servira aussi davantage à assurer le développement et le changement organisationnel et culturel: c’est avec ses cadres qu’une entreprise peut évoluer. Les connaître parfaitement, dans leur potentiel, mais aussi dans leurs valeurs et attitudes, permet d’orienter le changement de manière nettement plus efficace, en progressant par étapes maîtrisées et assimilées, vers la vision définie.

3.2. Concepts et politiques de management development

Les principales évolutions qui vont survenir au niveau du MD concernent:

- des concepts et outils plus simples, plus souples et plus performants, autant au niveau des processus, des instruments de conduite et de suivi que des outils d’évaluation des individus et des postes
- l’implication du management, raisonnable en termes de temps, mais pour l’ensemble du processus, avec un accent particulier mis sur le coaching
- l’orientation développement des évaluations, de manière à pouvoir gérer l’acquisition de compétences et la mobilité de manière individualisée
- des concepts de formation plus individualisés, différenciés et légers, basés surtout sur l’expérimentation et le coaching (projets, missions temporaires ou durables, rotation de poste, ...), répondant aux besoins réellement identifiés
- la responsabilisation croissante de l’individu envers son propre développement
- une gestion optimale de la mobilité, dans un but essentiel du développement des compétences et de la valorisation des potentiels
- une intégration poussée des différentes politiques du personnel.

Ces processus s’inscriront dans une approche de transparence, permettant la responsabilisation de chacun, dans le cadre de règles éthiques très précises assurant à la fois le respect de la confidentialité et une cohérence des processus. De la sorte, le succès à long terme d’une telle démarche est assuré.

3.4. L’intégration des politiques

Le MD de la prochaine génération comprendra une intégration étroite des politiques du personnel, notamment:

- au niveau de la politique de rémunération

L’évolution de la rémunération suivra de plus en plus celle des performances et des compétences, de manière à être en ligne avec le marché, à favoriser la continuité et loyauté sur des bases d’équité et non d’identification avec l’entreprise. La rémunération évoluera donc vite en cas de progression de carrière rapide, en liaison avec le marché. Les rémunérations doivent donc devenir réellement flexibles. Reste à baser ces évolutions sur des bases objectives, incontestables, de manière à ne pas laisser cours à l’arbitraire. C’est ce à quoi tendent les approches de contrats d’objectifs et d’évaluation des performances, d’évaluation de fonction, voire de compétences qui se développent rapidement aujourd’hui. La cohérence et l’intégration des outils sera donc plus nécessaire que jamais.

Dans tous les cas, la politique de rémunération et le MD devront être étroitement liés, de manière à renforcer d’un côté ce qui est entrepris de l’autre (récompenser les contributions réelles au développement de l’entreprise, en liaison avec les objectifs stratégiques).

- au niveau de la politique de recrutement

Le recrutement de jeunes devant constituer la relève demeure dans tous les systèmes de MD une source décisive de ressources nouvelles, qui, si elle est bien préparée, contribuera au succès à long terme de l’entreprise. Dans ce but, une analyse précise des profils requis à l’avenir, tenant compte de l’état des lieux, se révèle indispensable.

Pour éviter des systèmes trop monoculturels, qui ne se remettent donc pas suffisamment en question, un sain équilibre entre les recrutements internes et certains recrutements externes stratégiques est nécessaire. Notons cependant que toute exagération en la matière conduira immédiatement à la non-crédibilité des politiques de développement mises en oeuvre.

4. En guise de conclusion

Le MD se trouve aujourd’hui à un tournant. La gestion collective des carrières selon un modèle de filières est largement révolu. La mobilité joue donc de plus en plus un rôle essentiel, par les opportunités plus larges d’apprentissage qu’elle procure, entre les métiers, les pays et leurs cultures. Devoir apprendre en permanence constitue en effet l’un des défis de chaque cadre, aujourd’hui et encore plus demain. Elle jouera aussi un rôle décisif dans la gestion du changement organisationnel.

Dans les approche nouvelles, la négociation et la notion de contrat sont clés. Elles conduisent les cadres à prendre plus de responsabilités pour leur propre développement, avec une implication concrète de leur supérieur (coaching) plutôt qu’à compter sur des systèmes souvent exogènes et parfois bureaucratiques.


ÓÍÑ ÇáÍÑÝ æÇáßáÇã


ÔßÑÇ ááÃÎ ÕÞÑ ÇáÃæÑÇÓ Úáì ÇáÊæÞíÚ